Procédures hybrides de transaction : renforcement de la protection du principe de présomption d’innocence

28.02.2023

Gestion d'entreprise

Par un arrêt du 12 janvier 2023, la CJUE précise les contours de la protection du principe de présomption d’innocence dans le cadre des procédures de concurrence. Cet arrêt oblige la Commission à une grande vigilance lors de la rédaction de ses décisions de transaction lorsque le jugement des entreprises n’ayant pas opté pour la transaction reste en attente.

L’arrêt de la CJUE rendu le 12 janvier 2023 s’inscrit dans l’affaire des produits dérivés de taux d’intérêt libellés en euros (EIRD), dans laquelle plusieurs établissements bancaires, par l’intermédiaire de traders, avaient pris part à une infraction unique et continue du 12 février au 27 mars 2007 ayant eu pour objet l’altération du cours normal de fixation des prix sur le marché des produits dérivés de taux d’intérêt libellés en euros (CJUE, 12 janv. 2023, aff. C-883/19 P, HSBC Holdings et a. c/ Commission).

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

Découvrir tous les contenus liés

Après la divulgation de l’entente par le groupe Barclays, la Commission avait engagé une procédure d’infraction à l’encontre de plusieurs établissements bancaires. Le 4 décembre 2013, elle a adopté une première décision de transaction sanctionnant quatre des participants à l’entente (Barclays, Deutsche Bank, RBS et Société Générale), en y précisant le refus de HSBC, Crédit Agricole et JPMorgan Chase de transiger. A la suite d’une notification des griefs en 2014, les entreprises ayant refusé de transiger ont été sanctionnées par une décision en date du 7 décembre 2016.

L’impartialité de la Commission mise en doute

HSBC, qui avait refusé de transiger, avait alors introduit un recours devant le Tribunal tendant à l’annulation de la décision litigieuse, en se fondant notamment sur la violation du principe de présomption d’innocence. En effet, HSBC considérait que la rédaction de la décision de 2013 sanctionnant les entreprises ayant transigé, ainsi que les déclarations du commissaire Joaquin Almunia, alors en charge de la politique de la concurrence, faites au cours des années en 2012 et 2014, portaient un préjugement sur la responsabilité des mis en cause tiers à la procédure de transaction, entachant l’impartialité objective de la Commission au moment de l’adoption de la décision de 2016.

Ce moyen a été rejeté par le Tribunal dans un arrêt du 24 septembre 2019 (TUE, 24 sept. 2019, aff. T-105/17, HSBC Holdings et a. /Commission), qui a jugé que l’éventuel défaut d’impartialité résultant d’un manquement au principe de présomption d’innocence ne peut pas entraîner l’annulation de la décision s’il n’est pas démontré qu’en l’absence de ces irrégularités, la décision aurait eu un contenu différent.

Cette position est très critiquable en ce qu’elle vide de sa substance l’obligation faite à la Commission de respecter la présomption d’innocence des entreprises refusant de transiger dans le cadre des procédures hybrides de transaction. Ainsi, si la culpabilité de l’entreprise concernée est par ailleurs suffisamment établie dans les motifs de la décision, l’éventuel manquement aux principes de présomption d’innocence et d’impartialité n’est pas sanctionné.

Le jugement prématuré quant à la culpabilité est à éviter

La CJUE juge toutefois, dans son arrêt di 12 janvier 2023, que le Tribunal a fait une erreur de droit en appliquant un critère erroné. Elle rappelle l’importance du respect du principe de présomption d’innocence dans les procédures de transaction hybrides : la motivation des décisions doit être formulée en des termes qui sont de nature à éviter un jugement prématuré quant à la culpabilité des personnes tierces concernées. Par conséquent, dès lors que la Commission n’a pas été en mesure de préserver la présomption d’innocence des entreprises mises en cause, cette seule circonstance constitue une violation suffisamment grave susceptible de vicier l’ensemble de la procédure. Il n’est pas nécessaire d’examiner si la décision de sanction aurait eu un contenu différent en l’absence d’irrégularité.

Ce faisant, la Cour précise les contours de la protection du principe de présomption d’innocence dans les procédures de concurrence : la Commission devra faire preuve de la plus grande rigueur dans la rédaction de ses décisions dans l’hypothèse de procédures hybrides. Si les circonstances de l’affaire empêchent la Commission de décrire l’entente sans se prononcer sur la responsabilité des entreprises tierces à la transaction, celle-ci sera tenue de prendre les mesures utiles au respect des droits de la défense de ces dernières, y compris en ce que cela implique de reporter la prise de décision quant aux entreprises ayant accepté de transiger.

Cependant, en dépit de ce revirement, la Cour rejette les demandes au fond de HSBC. Elle retient en effet que la Commission avait pris suffisamment de précautions rédactionnelles pour éviter tout préjugement concernant la responsabilité de HSBC. La Commission avait en effet pris le soin de préciser, en introduction de sa décision, que celle-ci n’établissait pas la responsabilité des entreprises ayant refusé de transiger, et les références à ces entreprises demeuraient très succinctes. Il n’est toutefois pas déraisonnable de se demander si l’établissement du caractère anticoncurrentiel des pratiques auxquelles HSBC a participé par ailleurs ne préjugeait pas de la responsabilité de cette dernière. De la même manière, alors qu’elle juge que les déclarations du commissaire Almunia « témoignent d’un langage qui ne correspond pas à la circonspection qui aurait été attendue du membre de la Commission », et qu’elle relève que le Médiateur européen a constaté un cas de mauvaise administration du fait de ces déclarations, la Cour retient que celles-ci n’étaient « pas de nature à faire naître un doute sur l’impartialité » de la Commission.

L’annulation de procédures hybrides pour défaut d’impartialité objective de la Commission devrait donc rester exceptionnelle, à tout le moins lorsque la violation de la présomption d’innocence des entreprises tierces à la procédure de transaction est particulièrement flagrante.

Frédéric Puel, Avocat associé, Fidal
Vous aimerez aussi